Révolution russe de 1917 : « Un bilan trois fois désastreux » La prise du pouvoir par Lénine à Saint-Pétersbourg le 7 novembre 1917 instaura le premier régime communiste de l'histoire. A l'occasion de son centenaire, nombreux sont en France ceux qui encensent cette révolution « prolétarienne », la fameuse « prise du palais d'Hiver » présentée comme une insurrection populaire - vision largement fantaisiste -, et « l'héroïsme » des bolcheviks face à la « contre-révolution » et à l'encerclement de « l'intervention étrangère ».
Ce que François Furet a nommé « le charme universel d'Octobre » a suscité en Europe et en particulier en France une mémoire glorieuse du communisme, entérinée par la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie en 1945, au nom de la « lutte contre le fascisme ». Mais à regarder les choses de plus près, l'historien s'interroge sur l'héritage qu'a laissé cette révolution. Or les héritiers - c'est-à-dire nous tous - ne reçoivent qu'en fonction du bilan laissé par le défunt régime. Et ce bilan est désastreux à au moins trois points de vue.
Pour la Russie, cette révolution fut une catastrophe. En provoquant une terrible guerre civile, Lénine a entraîné dès 1922 la ruine économique d'un pays qui était premier producteur mondial de blé, de pétrole et puissance industrielle. A la tête de son parti-État et au nom d'une idéologie marxiste radicale, il a interdit la propriété et le commerce privés et ruiné les classes possédantes. Il a exterminé ou fait fuir une bonne part des élites intellectuelles, scientifiques, techniques et patronales. Il a pillé la paysannerie - suscitant d'immenses révoltes - et violemment réprimé la classe ouvrière.
Il a créé une immense bureaucratie recrutée sur sa fidélité au régime et non sur sa compétence. Et surtout il a renversé le 18 janvier 1918 l'Assemblée constituante, première et dernière assemblée élue au suffrage universel en Russie avant 1991.
La terreur à l'ordre du jourDans la foulée, il a créé une police politique toute-puissante et une Armée rouge chargées d'exterminer tous ceux qui contestaient son régime. Il a ainsi mis la terreur à l'ordre du jour. Autant de mesures qui seront systématisées et généralisées par son fidèle lieutenant Staline.
Le second héritage désastreux concerne l'Europe. Par leurs incessantes attaques contre la République de Weimar et contre la social-démocratie allemande, Lénine et Staline ont grandement facilité l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933 ; et les traités d'agression soviéto-nazis du 23 août et du 28 septembre 1939 ont donné le coup d'envoi de la Deuxième Guerre mondiale, avec toutes ses conséquences tragiques : le génocide des Juifs et des Tziganes, des millions de morts au combat et sous les bombardements, etc. La Russie a payé le plus cher : 27 millions de morts. Et après 1945, l'Europe centrale et orientale est passée d'une « libération » par l'Armée rouge à une soviétisation dont elle ne s'est libérée qu'en 1989.
Le troisième héritage touche le monde entier. En effet, Lénine a inventé un nouveau type de dictature, le totalitarisme, qui prétend contrôler non seulement le pouvoir politique, mais aussi toute la société et jusqu'à l'individu et sa pensée. Et l'URSS, à travers le réseau des partis communistes, a propagé ce totalitarisme en Europe et en Asie - avec toutes les horreurs de la Chine de Mao ou du Cambodge de Pol Pot - sans oublier Cuba et certains régimes africains.
L'effondrement du Mur de Berlin en 1989 puis l'implosion de l'URSS en 1991 ont sanctionné l'échec total de l'aventure léniniste. Mais depuis, ce totalitarisme a migré d'un communisme moribond à un islamisme radical triomphant. Bref, les héritiers n'ont pas fini de solder les comptes...
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